Spécial Pardon

J'ai lu deux livres qui parlent du Pardon :

- "Le désir de tourner la page, au-delà du pardon" de Lytta Basset, philosophe et théologienne  (un témoignage extraordinaire et bien écrit sur une recherche personnelle du sens du pardon, sous l'éclairage des Evangiles).

- le chapitre 14 "Pardonner" dans "L'évangélisation des profondeurs" de Simone Pacot, avocate.

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Je conseille d'écouter les blessures de la vie sur France Culture avec Lytta Basset.

Voici le quatrième de couverture du livre de Lytta Basset:

« On a trop souvent fait du pardon un but en soi. Et s'il s'agissait plutôt de tourner la page pour pouvoir enfin se libérer ? D'assumer ses blessures bien plus que d'attendre une impossible réparation ? Lytta Basset présente ici la quintessence d'une recherche de plus de dix ans, pour nous livrer les grandes étapes de cet incontournable travail de pacification avec le passé. Pas à pas, en s'appuyant sur des personnages ou des épisodes bibliques, elle nous invite à suivre une trajectoire de renouveau pour s'accepter et s'aimer, tout blessé que l'on soit. Alors seulement, l'unité intérieure se fait jour et la joie est au rendez-vous. » 

Extraits- mes prises de notes, tirés du livre de Lytta Basset

Introduction

On comprend peu à peu qu'il y avait une page très précise à tourner : sous le dysfonctionnement, on découvre intact la blessure, on en prend soin ; on exprime sa colère, son impuissance ; on refait la paix avec soi-même... et on commence à "lâcher" l'offenseur et l'offense ; dans le meilleur des cas, on arrive à envisager une réconciliation. Mais en cours de route, à tout moment peut faire irruption la liberté vers laquelle on marche à petit pas. Ces fulgurances sont comme la manne, quand le désert n'en finit plus ! 


Autocompassion

Je suis une personne adulte, capable de prendre soin de l'enfant impuissant en moi. Je l'ai peut-être déjà expérimenté : rien n'est plus thérapeutique que l'autocompassion. J'y suis grandement poussée par l'attitude emphatique d'autrui. Parce que autrui (pas nécessairement un thérapeute professionnel) a été le premier à prendre soin de ma blessure, j'ai commencé à valoriser cette part abimée et occultée de moi-même. Je sens que je ne guérirai pas en profondeur sans relayer moi-même une telle attitude emphatique.

Colère

Lytta Basset estime qu'il est nécessaire de passer par une phase de colère, de révolte à l'égard de Dieu.
Cette étape semble nécessaire pour évoluer dans la phase suivante. Sinon, au risque de retourner cette colère contre soi:

Mais là où la démarche devient fructueuse, c'est quand je commence à l'apostropher en direct : peu à peu, je découvre qu'il y a quelqu'un en face. Et plus je Le confronte, plus je deviens moi-même consistante. : je fais bloc, je m'unifie pour me défendre, je mets un terme (au moins provisoirement) à ma division intérieure pour prendre mon parti... Et cela me structure !

La joie d'être unifiée

L'unification intérieure est effective quand je sais que je ne serai plus jamais menacée d'engloutissement : si autrui s'effondre, ma propre structure tient bon.
À quoi puis-je mesurer mon degré d'unification intérieure ? À l'intensité de ma joie d'exister, d'être bine vivante, telle que je suis. Et il n'y a rien de tel que la compassion -- l'expérience bouleversante d'être pris aux entrailles -- pour me sentir intensément vivante, capable de vibrer avec autrui sans être engloutie par son malheur ou par sa manière de me rejeter.
Me voila seule, différentiée, libre de vivre des relations épanouissantes.
L'unification intérieure ne va en aucun cas m'enfermer en moi-même. C'est juste le contraire : elle va créer de l'espace pour les autres, qui deviennent vraiment autres.

Laisser aller l'offenseur

Il se peut que quelqu'un, dans mon entourage, ou un inconnu sur mon chemin, m'ait vue jusque dans mes profondeurs les plus meurtries, sans se laisser arrêter par mes dysfonctionnements. Que vais-je faire de ce regard de profonde bienveillance ? Le laisserai-je me "parler" du Regard qui ne condamne personne, quels que soient la gravité des offenses et l'enfermement dans les malheurs ?
Le pardon n'est pas un but en soi. Il sert à quelque chose, et c'est l'Evangile lui-même qui le dit : il sert à me libérer.
Autant je suis complètement innocente par rapport au mal qu'on m'a fait, autant j'ai l'entière responsabilité de ce que j'en fais : mon aujourd'hui est libre et mon avenir n'est pas voué à la fatalité.
J'ai choisi de renoncer à la contre-violence sans mots. J'ai choisi de prendre du temps pour ne pas détruire autrui par la contre-violence verbale.
J'ai lâché la culpabilité et les coupables. J'ai cessé de m'accuser de ce qui m'est arrivé. J'ai également renoncé à me croire parfaite sous prétexte que j'ai été victime d'une injustice.
Je découvre peu à peu la richesse du sentiment de responsabilité. Dans tous les cas, la responsabilité implique la prise de parole, à un moment ou à  un autre, d'une manière ou d'une autre.
Si je me sens capable d'assumer le tort subi sans le reproduire - de faire de la non-violence de manière extrêmement active, donc -, c'est que je me donne le droit de dire la vérité.
Je ne veux plus occulter la vérité, la nier, ni même la minimiser, ce qui est encore une manière de mentir : "Que votre oui soit un oui et votre non un non !" (Jc 5,12).

Le fantasme de la réparation
Je trouve que c’est surhumain ? C’est que je n’ai pas lâché le fantasme de la réparation. []. J’attendais comme une réparation minimale. Me voilà contrainte à prendre acte de l’implacable surdité de mon offenseur.[].
Le texte biblique évoque la « torture » à laquelle je me soumets en exigeant une réparation qui risque de ne jamais venir.[]. Il vient un moment où je prends conscience que c’est lui qui est à plaindre : je n’aimerais pas être affligée d’une t’elle surdité, car je sais par expérience combien cela appauvrit les relations avec les autres et avec le tout Autre. Je commence à entrevoir un avenir pour la relation par-delà l’impossible réconciliation.
En m’engageant dans cette voie, je constate qu’elle n’est pas énormément fréquentée, mais je me sens en pleine croissance spirituelle, en compagnie de personnes apparemment mues par une exigence intérieure similaire. Je partage le même défi: comment rester solidaire de tous les humains, y compris les plus déshumanisés de nos offenseurs ? Le défi s’est imposé à moi quand j’ai pris la mesure de l’imprévisible solidarité de ceux et celles qui m’ont aidée à m’en sortir. Ce dont j’ai alors bénéficié est inépuisable : j’en fais l’expérience au quotidien. Une fois pour toutes, je me dépréoccupe de l’impossible réparation. Je mets un terme à mes tentatives de réconciliation – avec la bénédiction divine ! Et un espace illimité s’ouvre devant moi : celui de la solidarité malgré tout !

Solidarité malgré tout
J’adopte une attitude autre. Cela ne va peut être rien changer du côté de mon offenseur. Mais dans mon entourage, cela ne va pas passer inaperçu : la générosité qui me traverse devient contagieuse… et je me sens de plus en plus réparée par l’écoute et la valorisation de ceux et celles qui sont témoins de ce qui m’est arrivée—car chacun sait qu’une telle solidarité ne va pas de soi…


Conclusion
Une question reste entière, granitique. Elle ne fait plus de problème parce que j’en ai décidé ainsi : pourquoi cela m’est-il arrivé ? Pourquoi est-ce tombé sur moi et non sur quelqu’un d’autre ? Pourquoi, simplement a-t’il fallu qu’une telle chose m’arrive ? Je ne le saurai pas sur cette terre et j’en prends mon parti peu à peu. Mais comme le dit si bien Pierre Legendre, « on entre dans le pardon par la porte du désespoir, et s’il y a du pardon, ce ne peut être que sur le fond d’impardonnable ». Quelle que soit l’injustice subie, la blessure ne sera jamais comparable à celle d’autrui. Dans l’expérience intime personnelle de la douleur, l’offense est impardonnable dans le sens où le pardon ne va jamais de soi : qui êtes-vous, qui sont-ils pour décider que ce que j’ai subi est (aisément) pardonnable ?
À strictement parler, donc toute offense est impardonnable, car toute offense peut rester impardonnée si, la blessure ne se refermant pas, la personne ne peut pas laisser aller le mal subi. Cela lui appartient, et à elle seule ; de savoir si elle veut oui ou non se donner les moyens de rendre pardonnable ce qui à ses yeux est impardonnable.
Or aucune démarche de pardon ne peut être vraiment fructueuse si elle fait l’économie de ce désespoir – ou absence d’espoir : le mal subi ne sera jamais réparé, jamais complètement, ce ne sera plus jamais comme avant. Comme le dit si bien le philosophe Vladimir Jankélévich : «  Il y a une seule chose que Dieu Lui-même ne sait pas faire […] : faire que les choses n’aient jamais été faites.[] »
Ne peut-on pas dire que le désespoir du « plus jamais comme avant » est destiné à devenir un « infiniment mieux qu’avant » ?


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Voici quelques extraits du livre de Simone Pacot :

Nous ne pouvons pardonner ni top tôt ni trop vite, que l'événement soit du passé ou du présent. Pardonner à ceux et à celles qui nous ont fait du mal, remettre leur dette,"laisser aller cela qui nous a fait du mal", ce qui est une autre facette du pardon, est un détachement profond qui ne peut être vécu qu'en traversant des étapes. Tant que nous n'avons pas retraversé notre histoire dans toute son épaisseur, que nous sommes aveuglés, écrasés ou mélangés, nous ne pouvons réellement pardonner. Ce n'est que lorsque nous ne nous considérons plus uniquement comme des victimes, que nous avons clairement pris conscience de nos chemins de mort, que nous avons choisi de les quitter pour prendre des orientations de vie, que nous nous sommes mis en marche, que nous commençons à retrouver notre identité, qu'il est alors possible de pardonner.
Mais ce temps arrive et va être essentiel. Il est l'aboutissement du trajet de conversion, le temps de la bénédiction, de la libération. Dieu est la source du pardon, ce n'est donc que dans sa grâce que nous pouvons pardonner. Il est impossible de vivre cette étape avec nos seules forces, mais nous sommes cependant tout à fait impliqués dans ce passage.
  • Reconnaitre le mal subi
Si nous ne reconnaissons pas l'étendue de la douleur, de la violence qui ont pu prendre racine en nous, il ne sera pas possible de vivre le pardon dans sa réalité. Si toutes nos émotions ont été gommées, niées, comment pourrions nous savoir ce que nous avons à pardonner, à qui pardonner ? C'est à partir du chagrin, de la révolte que le pardon va se vivre. Si nous les nions, l'acte de pardon ne produira pas son fruit de transformation, de passage de la mort à la vie. [...]
Mais il n'est pas possible d'oublier un événement qui fait mal. [...] La résurrection n'est pas l'oubli de la passion. Le Christ est ressuscité avec des cicatrices, et nous gardons en nous les cicatrices de notre histoire, mais elle ne sont plus que le signe d'accablement, de condamnation, elles deviennent signes de la guérison et du salut. Le pardon de Dieu ne met pas un voile sur notre histoire, ne la relègue pas au néant. Il permet de se réconcilier avec son passé, de l'intégrer dans son présent.[...] Oser regarder en face combien nous avons pu être abimés au cours de notre histoire est un mouvement un peu différent de celui de la reconnaissance du mal subi, mais il en fait partie.
Cette acceptation définitive de la réalité du passé, du mal subi et de son impact sur nous est un très profond passage de conversion, une étape essentielle.
Nous risquons toujours de réagir à un événement qui réactive nos blessures, avec la même souffrance que lorsque nous avons subi le mal la première fois.
Mais ayant grandi en le Christ, nous pouvons maintenant vivre un passage difficile dans la grâce et la présence de Dieu, l'assumer dans la force que nous donne son Esprit.
  • Le juste regard
Bien-sûr, être capable de se remettre en question est une disposition du cœur fondamentale dans l'accueil du Royaume. Mais nous n'avons pas à nous croire spécifiquement responsables de ce qui nous arrive. Il est essentiel de sortir de la confusion et de faire le tri de ce qui est juste ou non dans la parole ou le comportement de l'autre. C'est en collaborant avec l'Esprit que nous y parviendrons et que nous pourrons nous assurer de ce que nous vivons dans le cœur profond. 
  •   L’autre
Renoncer à juger la personne offensante
Ne pas juger l’autre signifie que nous n’allons pas chercher à évaluer son degré de culpabilité, le mal qui pourrait l’habiter, ni décortiquer ses mobiles et intentions. Il y a renoncement à connaître ce mal que seul Dieu connaît. Le pardon s’enracine dans l’arbre de vie et non dans l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Dans les Évangiles, l’interdiction de juger est radicalement impérative. Jésus demande même à son Père de pardonner à ses bourreaux comme si lui-même ne se reconnaissait pas le droit de les juger : le Père seul connaît leur culpabilité.

Ne pas réduire l’autre à son acte
Beaucoup de victimes ont tendance à enfermer totalement l’offenseur dans son comportement. Elles peuvent arriver à le nier complètement, à ne plus rien attendre de lui, à ne plus donner aucun poids à ce qu’il pense ou dit. C’est une façon de tuer l’offenseur. Elles sont dans l’impossibilité de lui pardonner.

Dissocier l’acte du comportement de l’offenseur.
Nous pouvons nommer ce qui nous fait du mal sans condamner la personne qui nous a fait ce mal. Pardonner ne signifie pas adhérer au comportement de l’offenseur qui en lui-même est inacceptable.
Pardonner ne veut pas dire excuser. Il y a des actes inexcusables. Excuser systématiquement sous prétexte de charité est une façon de nier la liberté de l’autre. Pardonner ne veut pas dire accepter. Pardonner ne supprime pas l’affrontement. Si nous n’obéissons pas aux désirs de l’autre quand il est contraire aux lois de vie, nous risquons d’entrer dans un conflit. Dans la lumière et la force de l’Esprit, nous avons à l’assumer, à le vivre en vérité et dans l’absolu respect de la personne de l’autre, sans agressivité, ni vengeance, ni mépris.
  •  Les états intérieurs contraires au pardon
-       le mépris de l’autre,
-       la rancune,
-       le sentiment de vengeance,
-       …..
  • Aimer
-  Aimer son ennemi, prier pour lui ne saurait en aucun cas signifier que nous allons lui permettre de nous détruire.
-  Aimer son ennemi n’est pas du domaine du sentiment, du ressenti, mais de la volonté profonde du choix, d’un désir d’être en accord profond avec le Royaume.
-  Aimer son ennemi veut dire respecter la personne qui nous fait du mal, le reconnaître dans son identité d’enfant de Dieu.

L’acte intérieur de pardon envers l’ennemi pourrait s’exprimer ainsi : « Aujourd’hui, je te pardonne, je remets ta dette et je m’engage à respecter ta personne. » Cela va se traduire par l’engagement intérieur de ne pas dire du mal de sa personne, de le démolir en quelques paroles percutantes, sans cependant demeurer complice du mal fait.
Aimer l’ennemi, c’est lui vouloir du bien et non du mal, c’est reconnaître les fruits qu’il porte, la fécondité de sa tâche, en demeurant cependant dans le discernement, dans la prudence nécessaire.
Nous ne pouvons prier pour l’ennemi quand nous sommes en pleine confusion, mais il nous est toujours possible de poser un acte qui nous délie, qui nous aide à nous situer justement avant de prier.
Il existe une forme de prière d’intercession qui peut aider à se situer et qui porte un fruit abondant. Elle consiste à permettre à la présence de Dieu de s’établir au cœur de la relation conflictuelle.
Nous n’avons pas à savoir si l’ennemi va ou non accueillir le pardon de Dieu : nous avons fait notre part, nous avons ouvert la porte en sachant que c’est Dieu qui peut faire fondre toute résistance.
  • Quelques précisions sur le pardon
-       le pardon n’est pas forcément l’arrêt de la souffrance.
-       Le pardon est inconditionnel, gratuit et sans marchandage.
-   Lorsque nous pardonnons, la relation n’est pas forcément restaurée dans sa forme extérieure. La restauration complète de la relation ne dépend pas uniquement de nous.
-    Dans le pardon, on renonce à se faire justice soi-même et on renonce également à vouloir tout expliquer, tout éclairer, tout comprendre.
-       C’est certainement une grande frustration que de pardonner sans pouvoir véritablement se faire entendre, mais cela arrive et il est nécessaire de l’assumer.
-       La plupart du temps, il suffit de pardonner intérieurement de façon claire et de se taire. Être disposé à se taire est un bon critère pour savoir si son cœur est purifié.



2 commentaires:

  1. Bien sur que nous sommes impliqués. Le travail Il ne le fait pas seul. Il nous soutient, I nous aide, Il nous pousse aussi quand nous nous arrêtons, parce que Dieu veut que nous soyons purs et saints comme Lui-même. Et Il fera tout pour que tous le devienne. Or le pardon point donné, point obtenu, est le lieu que Satan adore pour y ajouter son poison. Une blessure béante est sa proie, son lieu de travail favori. Il faut pardonner. Il faut travailler à pardonner. Et je crois moi aussi que commencer par se reconnaitre soi-même pécheur, offenseur, est un bon début.

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  2. Ce texte de Simone Pacot est remarquable.
    Thérèse.

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Emylia