samedi 11 juillet 2015

Job avait tout de même raison


"Leur crime : un enragé vouloir de nous apprendre
à mépriser les  dieux que nous avons en nous."
René Char, la parole en archipel


Face à Auschwitz, face aux multiples génocides qui se succèdent depuis un siècle, l’attitude qui considère le mal comme une absence de bien dans l’Être est difficilement tenable. Cette définition a été donnée par Saint-Augustin (IV-V siècle après JC) qui s’y connaissait assez bien en matière de mal comme il l’expose longuement dans ses « confessions ». Il faut aussi comprendre que Saint-Augustin devenu évêque a dû s’opposer très frontalement à la doctrine hérétique du dualisme qui énonçait un Dieu du mal en face du Dieu du bien qui détruisait la définition trinitaire du Dieu unique de l’église.
En fait il y a différents types de mal : d’une part le mal présent dans l’univers et d’autre part, le mal que l’homme rajoute en excès dans l’univers. Dans ce dernier cas il y a le mal commis pour des motifs et mobiles divers. Et il y a le pire des maux, le mal radical exercé sans aucune raison, sans la moindre explication logique tenable. Le mal radical est un mal zélé, pervers qui embrouille et qui prétend se faire passer pour un bien. 
Si à la limite, on peut admettre que le mal dans l’univers et le mal commis pour des motifs compréhensibles sont une forme d’absence de bien dans l’être, le mal radical est assurément un mal en excès qui existe vraiment.
Je vais surtout discuter à présent de ce mal radical.

Ce mal là présente trois caractéristiques évidentes.

 1)     Ce mal est une pathologie qui induit une scission schizophrénique de l’Être avec une partie de la conscience qui agit en faisait le mal et une autre partie de la conscience qui justifie ce mal comme un bien. Il justifie la haine purement gratuite pour faire le bien pour l’humanité. Il n’est pas possible de discuter avec les personnes qui justifient ce mal pour la bonne cause, car en dépit des apparences trompeuses, ce mal n’a aucune logique, aucune justification, excepté la volonté plus ou moins consciente de détruire. Ce mal est du ressort de la pathologie psychologique profonde en rapport avec le clivage de l’Être.

 2)     Ce mal veut se faire comprendre par tous les moyens. Il y parvient par la fascination, la stupéfaction qu’il provoque devant l’excès. Là est son piège, dans le regard. Regarder le mal, c’est déjà en faire partie, être englobé par lui, car il nous intègre dans sa logique justificative. Il n’est pas possible de demeurer innocent si on succombe à la fascination du spectacle du mal. Il est la pomme qui nous est tendue par Satan. Il faudrait avoir le courage de renoncer à entrer dans son jeu. L’attitude de rejet du mal est donc d’abandonner toute recherche d’une explication sur l’existence du mal. La prise de conscience est difficile. Réaliser que regarder des films ou des informations où sont commis des crimes est une caution apportée au mal.

 3)     Le mal est contagieux. Le mal qui nous atteint personnellement se réfléchit sur nous pour contaminer autrui. Comment la victime peut’elle éviter la tristesse, la déprime, la mauvaise humeur ou la colère, un comportement qui affecte ses proches. Pour stopper la contagion généralisée du mal, il faudrait devenir un trou noir qui absorbe tout ce mal qui l’atteint sans le rayonner en retour. Il faudrait être le Christ. Mais c’est presque impossible.

Quelle serait la bonne attitude à adopter pour échapper au mal radical ?

Il faudrait d’abord ne pas succomber à sa séduction en le regardant, car on entre dans son système d’auto-justification perfide et perverse. Ensuite, il faut renoncer à comprendre d’où il vient. En particulier, il faudrait cesser de ce demander si Dieu a créé le mal ? s’il est complice ou impuissant ? En cela Job avait compris qu’il n’y a pas de pourquoi. Il faut arriver à abandonner tout espoir d’explication pour lui échapper.

Le mal cherche insidieusement à se faire justifier. En cela ne pas protester devant le mal c’est en devenir un complice consentant. Le mal radical est un scandale. Ne pas le souligner, c’est le cautionner. Il faut donc se révolter en s’adressant à Dieu bien plus qu’aux hommes pour éviter la propagation humaine du mal. Ainsi il ne faut cesser de protester de l’existence du mal devant Dieu. Là encore Job avait raison.

La troisième attitude est la foi en Dieu, en dépit du mal incompréhensible, justement parce que le mal a besoin de faire cautionner son existence par des arguments logiques. Maintenir la foi en Dieu contre toute logique du mal est la seule façon de stopper la contagion du mal. La foi permet à la conscience de rester unitaire et de résister aux tentatives de scission schizophrène dans laquelle veut nous entrainer le mal radical. Job a maintenu sa confiance en Dieu. Il a pu refaire sa vie, après avoir protesté de son innocence, après avoir renoncé à comprendre l’existence du mal.

Le mal ne serait-il pas le socle fondateur de la foi ? , la foi en la possibilité du Bien, possibilité de l'existence de  Dieu ?
Emylia

dimanche 5 juillet 2015

Sur le mal

J’ai assisté pendant deux jours à un séminaire sur le mal, tel qu’il est perçu par les philosophes. Je ne vais pas brosser un panorama complet de ce sujet qui par ailleurs a été très peu étudié en comparaison à d’autres sujets.
Les questions les plus intéressantes peuvent être énoncées dans les points suivants:
·       Quelle est la définition du mal ?
·       Le mal existe-il ?
·       Quelle est son origine ?
·       Dieu est-il responsable du mal ?
·       Peut-t’on s’en affranchir, le surmonter ?

Le mal s’identifie le plus souvent aux symptômes qu’il engendre. Le symptôme du mal est indiqué par la souffrance, la corruption du corps ou de l’esprit, la mort. La souffrance est une plaie ouverte dans la nuit. Elle déclenche en sa victime une forme d’hyper-sensibilité qui peut avoir deux types de conséquences opposées.

Dans un premier temps, elle engendre le plus souvent un renfermement sur soi-même, avec éventuellement un fort rétrécissement de l’horizon relationnel. C’est aussi le temps de la colère et de la révolte mais aussi de l’angoisse exacerbée. Dans ce cas, on parle de souffrance fermée comme une plaie qui macère et qui ne respire pas. Une souffrance qui ronge l’intérieur, parfois accompagnée de colère et de haine, comme un vers dans un fruit qui pourrit peu à peu l’être. Comment sortir de cette traversée de la nuit, de cet en-bas comme dirait Maurice Bellet. Dans ce cas, on parle de souffrance fermée. Il est probable que nul ne puisse échapper à cette situation d’enfermement. C’est peut-être l’occasion de s’arrêter un moment, de mieux faire connaissance avec soi-même, d’analyser notre propre réaction au cœur de l’épreuve. Car on s’explore rarement quand tout va bien. Au contraire, quand tout va bien, on a tendance à se jeter à corps perdu dans l’action. Comment avancer dans la nuit ? Il n’y a pas de chemin tout indiqué et la plupart des repères sont effacés. Je crois qu’il faut oser prendre un risque, mobiliser tout son courage, toutes ses ressources psychologiques et spirituelles intérieures, toutes ses dispositions  pour essayer de gravir peu à peu les parois escarpées de cet en-bas. Le chemin peut être long. Il est similaire à celui qu’il est recommandé d’emprunter pour un deuil.
Il faut tout d’abord affronter le déni. Ensuite surgit en soi colère et révolte. Il faut avoir l’audace de pousser un cri de révolte. La révolte ne saurait être escamotée. Elle fait partie du chemin. Pour remonter, surmonter, il faut laisser respirer la plaie, quitte à ouvrir la plaie au grand air. Est-il possible de trouver un échappatoire à sa douleur, probablement pas ? Puis vient la dépression qui s’installe dans le temps. Il faut en prendre conscience pour qu’elle ne s’installe pas trop longtemps et limiter ses ravages.

Dans un second temps, la réalité est acceptée, mais le passé n’est jamais oublié. Et puis lorsque que tout ce travail sur soi a été fait, le travail apporte ses fruits. La sublimation de la souffrance à laquelle sont parvenues Christiane Singer dans « derniers fragments d’un long voyage », mais aussi les longues traversées de la nuit de Lytta Basset. La sublimation passe par les larmes, par les mots prononcés en une auto-analyse, une présence bienveillante qui écoute, une attitude intérieure de consentement. Mais aussi une écoute sonore dans une solitude apaisée capable de percevoir le monde extérieur et intérieur.

Notre vie a quelque chose d’urgent qu’il faut prendre en main dès aujourd’hui. Ce serait absurde de procrastiner en repoussant à un moment ultérieur le travail qui est nécessaire dès maintenant. Le temps perdu ne se rattrape jamais.
Mais au fait qu’est ce que le mal ? On peut peut-être le considérer par rapport au bien. Le bien est ce qui convient à l’homme. Ce qui convient à l’homme est plutôt de l’ordre de la vertu et non du vice. Parce que le vice détruit la vie insidieusement. Les philosophes définissent le mal comme un manque de bien. Tout être humain est porteur de ce bien. Le mal est alors un manque de bien qui se traduit par un creux de bien dans cette plénitude de bien. Les épreuves de la vie contribuent à creuser cette plénitude de bien pour l’entamer sérieusement. Il faut veiller soigneusement à se réparer pour combler les ornières qui risquent de se transformer en trous béants et failles. L’être transpercé de part en part par des trous comme un gruyère  finit par devenir un néant.
Tant qu’il demeure de l’être dans un humain, il y a encore de l’espérance. Nul homme n’est déjà condamné pour l’éternité.

Le mal est un virus mutant qui se propage d’un être humain à un autre nous dit Maurice Bellet. Il appartient à chacun d’entre nous peut prendre ses responsabilités sanitaires pour réduire en lui, la quantité de mal qui le ronge par une hygiène de sainteté. Combler les creux de mal. Comment ?
La solution préconisée par le philosophe est la bonne action. Parce que les bonnes actions nous façonnent, nous reconstruisent, nous imprègnent, voire nous transforment. D’ailleurs nous sommes perméables à toutes nos actions. Les mauvaises creusent notre être tandis que les bonnes comblent nos creux et remplissent notre être de bien.

Quelle est l’origine du mal ? Les philosophes ne peuvent se prononcer car ils ne peuvent s’appuyer sur une doctrine de vérité révélée. Ils constatent que l’absence de bien existe dans le monde. Donc Dieu, le principe créateur du monde a permis que le mal existe. La raison logique explique qu’il ne peut pas exister un « meilleur des mondes possibles » dans lequel le mal serait absent. Il y a donc forcément une quantité de mal inévitablement injectée dans la création. Et cet argument est aussi donné dans le catéchisme de l’église catholique.
Pourquoi Dieu n’intervient-il pas dans les affaires humaines pour soulager les souffrances de la vie qui se rajoutent à la condition de mortel ? Probablement parce que nous avons à nous confronter avec ce mal qui fait partie de notre vie.

L’existence du mal dans la création est la garantie de notre liberté humaine de choisir entre réduire le mal dans la création en l’absorbant et en le transformant en bien, ou au contraire de le propager en l’augmentant en creusant toujours un peu plus notre être. L’espérance d’un monde meilleur repose sur notre liberté humaine, notre intelligence sur le monde et de la réalité et aussi notre volonté de choisir le bien contre le mal.

En relisant mes notes, je m’aperçois que la solution de l’amour est curieusement absente de la présentation. La solution de l’amour est cachée dans ce qui est préconisé dans l’action bonne. L’amour fait partie des thèmes embrassés par la philosophie. Probablement qu’il y aurait un chemin d’espoir à creuser de ce côté là… 

Emylia