mardi 23 juin 2015

Ambivalences

Les vicissitudes de la vie me baladent en ce moment. Un fils qui réussit son parcours scolaire, l’autre qui peine. Le décès de la grand-mère de mon époux. Ma progression rapide dans l’interprétation musicale et mes premiers pas en composition. Mes activités de chorale qui périclitent. Mon travail qui se poursuit et se réoriente. Et de temps en temps, le soir, je saisis mon livre sur la bible pour comprendre à la suite de David et Salomon, le livre des rois.
J’ai du mal à me fixer avec insistance sur un thème, excepté la musique qui est pour moi une nouvelle parole qui me parle intérieurement. Si le Christ est dans la beauté de l’art, dans la création humaine, alors il est auprès de moi. S’il est dans ce fils qui ne cesse de faire plaisir à ses parents et à tout le monde, alors il est le don même du ciel.
Et il y a tout le reste, ce qui n’est pas si merveilleux. Je pense à cette grand-mère qui vient de traverser un siècle de vie. Impressionnant ! Non pas que je voudrais lui adresser un grand hommage, mais parce qu’elle était comme la plupart d’entre nous, une personne humaine de caractère, avec une face généreuse et aussi une autre face égocentrée.
Il en faut du courage pour vivre cent ans, naitre en milieu rural, traverser deux guerres mondiales, construire sa vie au lendemain de la dernière guerre dans une France de la pauvreté, sans beaucoup de bagages sociaux-culturels. Des enfants qui naissent dans la précarité, un enfant prématuré à sauver, dans le coton d’une boite à chaussures. On a du mal à s’imaginer, se battre pour que les quatre enfants vivent,  étudient, tandis que l’époux au service de la France est éloigné sur différents théâtres d’opération.
Mais après les difficiles années 50 dénoncées par l’abbé Pierre, la prospérité revient en France et les quatre enfants profitent de l’ascenseur social. Il y a aussi la possibilité de reprendre un travail sur le tard après avoir été plus d’une vingtaine d’année mère (puis grand-mère) au foyer. Puis quand sonne la retraite, c’est la période actives des associations caritatives, Croix-Rouge, aide sociale, transport des personnes en difficultés.
Paradoxalement, c’est aussi une période où elle aime faire valoir à qui veut l’entendre, l’ensemble de ses bonnes actions. Parce que être né il y a cent ans en milieu rural, signifie souvent avoir été élevé en milieu croyant catholique. La religion a toujours été présente dans la vie, elle a incité à faire certains choix, souvent de bons choix. Mais l’humilité du Christ n’a pas été bien comprise. La religion est brandie comme une exigence de tradition. Une tradition qu’elle veut  imposer aux autres, notamment à ses petits enfants, sans accepter l’idée que les petits enfants n’ont pas forcément le désir de se plier aux exigences d’une tradition qui a passé, une exigence qui blesse. Exigences, mais aussi caprices contradictoires à l’égard de ses propres enfants, à la limite tyranniques.
Cette personne active et courageuse est restée longtemps autonome jusqu’au jour, à 95 an, elle devenue dépendante. Ses enfants l’ont placée en maison de retraite, non sans avoir bataillé. Eh puis, est-ce l’effet de médicaments, de la souffrance (mais pas de la sénilité), elle se met à battre sa propre fille ainée (à plus de 95 ans). Elle se métamorphose en « Tatie Danièle ».

Je ne veux pas juger, et heureusement, il est préférable de laisser les personnes au jugement de Dieu. Mais tout de même, quel étrange mélange de générosité et d’égoïsme en une seule personne. Pourquoi les humains sont ils aussi compliqués, paradoxaux ?

Emylia

lundi 15 juin 2015

Apartheids, ségrégations, stigmatisations, exclusions et autres clivages

J’ai toujours été très inquiète au sujet des mécanismes d’exclusion à l’œuvre dans les groupes sociaux, à commencer à l’école, puis dans la vie professionnelle, dans les structures associatives de toute sorte (jusque dans les paroisses catholiques par exemple), et aussi à l’échelle de la société d’un pays tout entier. J’ai particulièrement été édifiée par la présentation des inégalités culturelles  par la sociologue d’origine québécoise Michèle Lamont  sur France Culture.
Effectivement, j’ai le sentiment de toujours entendre des discours de rhétorique sur la république, l’égalité des chances et le mérite, alors que tout le monde sait bien que la France est un pays qui fabrique massivement non seulement de l’exclusion sociale mais aussi de l’exclusion culturelle par un mécanisme conjugué d’une part de nivellement par le bas de l’éducation et d’autre part d’un système de sélection impitoyable. La France n’est certainement pas plus vertueuse que les États Unis ou le Royaume Unis dans ce domaine.
La France se complait hypocritement dans un aveuglement face à ces inégalités, en refusant de procéder aux analyses qui l’acculerait on seulement à les reconnaître, mais aussi à admettre l’inefficacité économique de cette situation. Pourquoi faudrait-il que les sociétés soient clivées en classes sociales qui s’ignorent mutuellement jusqu’au mépris. Je ne vais pas insister sur la situation contemporaine. Mais je voudrais  faire remarquer que les clivages ont toujours existé. Il y a toujours eu un « Nous » qui s’oppose à un « Eux », les deux générant indéfiniment peur, colère et haine.
On retrouve cette ségrégation dans la Bible, à commencer par les hébreux victimes d’exclusion en Égypte. Puis lorsque les hébreux pénètrent en terre cananéenne, ils entrent régulièrement en guerre avec les autres peuples païens déjà installés sur ces territoires. Quand la situation se stabilise, le peuple hébreu se fragmente en douze tribus qui s’affrontent pour obtenir le pouvoir. Elles ne tardent pas à se regrouper les unes en un royaume du Nord dit d’Israël et le royaume du Sud dit de Juda. Les tribus des deux royaumes  s’affrontent les unes au autres. Deux grandes catastrophes frappent le peuple hébreu : d’abord la disparition du puissant royaume du nord, écrasé par les assyriens au VIII siècle avant Jésus-Christ, puis la déportation des tribus restantes du royaume de Juda à Babylone au VII siècle. D’ailleurs ce sont les rescapés du royaume de Juda qui écriront l’ancien testament. La bible est la réponse à un sursaut identitaire de survie des juifs de Juda qui ont compris que la discorde les a menés au bord de l’anéantissement.
Quelques siècles plus tard, à l’époque du Christ, les évangiles dépeignent très clairement les clivages dans la société juive. Sans parler des romains, les samaritains et les cananéens sont les paria-exclus de l’époque. La grande métropole de l’état juif « Jérusalem » méprise ses provinces. Les pharisiens de Jérusalem ont le monopole du savoir religieux par l’accès restreint au temple. Les évangiles nous décrivent une société judaïque complètement rigide et bloquée par ses propres clivages sociaux. Ces murs d’incompréhension et des sentiments légitimes de révolte la conduiront à la destruction de Jérusalem par les romains au premier siècle.
Il n’est guère de doute que Jésus a tout compris des mécanismes d’exclusion qui étaient à l’œuvre à son époque.
Après ce furent les premiers chrétiens qui étaient victimes de stigmatisation dans l’empire romain. Au moyen-âge les sociétés humaines se sont fragmentées en classes appelées des états (noblesses, clergé, tiers-état). Plus tard, il y a eu la bourgeoisie, le prolétariat, les paysans qui se sont opposées.

Bref, plus les pays deviennent grands, voir lorsqu’ils sont mondialisées dans une monde sans définition claire, toute l’organisation sociale se fragmente indéfiniment en microstructures avec des relations sociales inter-structures qui deviennent presque impossibles. Les divisions sont sans fin.

Emylia

dimanche 7 juin 2015

Le rire de Dieu

Je suis toujours stupéfaite lorsque des éléments de ma vie éclairent ou sont éclairés par des lectures spirituelles très récentes.
Ce matin, messe d’une heure et demi célébrée par un jeune prêtre étudiant. Pendant l’homélie, ce prêtre s’emporte avec véhémence à l’encontre de toutes les personnes qui n’accordent pas au moins une heure de leur temps par semaine à Dieu. Il exhorte les paroissiens de ne jamais rater une messe dominicale sous aucun prétexte, et surtout pas sécher une messe en période de vacances, coupables que nous serions de ne penser qu’à nos loisirs et petits conforts. Il y a dans l’assistance des personnes qui fréquentent l’église depuis deux ou trois fois son âge. Nombre d’entre-elles ont déjà vécu le poids de l’expérience de la vie, la violente douleur de la perte d’êtres chers, la souffrance physique et morale par la maladie lourde et incurable. Cette attitude s’oppose au témoignage de miséricorde de ce prêtre retraité dans le bulletin de notre paroisse, prêtre pourtant très actif en aumônerie hospitalière. Il exprime son émoi lorsqu’une religieuse en phase terminale du cancer lui avoue qu’elle ne parvient plus à prier. Alors elle veut s’offrir en offrande vivante au Seigneur.
Deux prêtres, deux visages différents de Dieu s’opposent, celui de l’ancien testament et celui du nouveau testament.
Cette anecdote se produit juste alors que je viens de lire et de terminer le remarquable livre d’Andrée Chedid sur « La femme de Job ».
La femme de Job est ce personnage insignifiant de l’énigmatique livre de Job de l’ancien testament, qui sous la plume d’Andrée Chédid détient la clé du mystère du Dieu colérique et vengeur de l’ancien testament. Le vieux Job est noyé dans les profondeurs de sa douleur ineffable. Il ne comprend pas, lui l’homme intègre et droit qui n’a jamais oublié le moindre sacrifice, offrande et prière. Il a même voulu faire de la surenchère en dévotion et purification, en s’assurant d’avance contre d’éventuels péchés  que pourraient éventuellement commettre ses enfants pourtant tous très bien élevés dans la crainte de Dieu. Le mal et le malheur s’est pourtant abattu sur lui et sa famille sans que Dieu daigne un tant soi peu protéger son meilleur serviteur. Il est impossible de contracter des assurances divines contre le malheur. Il faut boire la coupe quand elle est tendue.
Si Job est dans l’incompréhension de la cause de son malheur. Il s’y accroche désespérément. Ses amis qui viennent lui rendre une visite de courtoisie lui reprochent d’avoir forcément péché et donc que son malheur n’est autre qu’une punition bien méritée. Il y a aussi ce jeune homme arrogant Elihou sans expérience de la vie, très éduqué et savant en matière de religion qui en assène une couche supplémentaire avec une rhétorique exemplaire. La femme de Job, murée dans le silence qu’impose souvent la bible aux personnages secondaires attend patiemment que son époux découvre enfin le vrai visage de Dieu. Or le vrai visage de Dieu est voilé dans l’ancien testament, puisque le Christ ne naitra seulement que dans quelques siècles. Le bibliste pré-chrétien n’aurait pas pu comprendre et écrire ce qui s’est vraiment passé.
Le retournement se produit lorsque Job admet que Dieu est mystère et qu’il n’a pas à exiger des explications divines. Dieu parle enfin à Job et à Elihou, à chacun dans leur intériorité. Plus précisément, ils entendent en eux le rire de Dieu qui résonne. Job arrive à porter ses yeux au delà de son malheur pour découvrir qu’il aime sa femme et que sa femme l’aime. Il comprend que l’essentiel est là, dans la présence insignifiante mais réelle de sa femme. Ce personnage insignifiant et inaudible est déjà habité par le vrai Dieu, le Dieu d’amour inconditionnel, le Dieu du Christ qui n’est pas encore né.
 Elihou comprend la vanité des discours. L’histoire ne dit pas qu’il a peut être découvert Dieu dans le silence des mots quand ils ne portent plus des concepts, lorsque ce n’est plus la bouche qui parle mais un cœur de miséricorde.
J’ai découvert bien d’autres personnages insignifiants dans l’ancien testament à côté des grands très connus dont on traite en longueur l’histoire pas toujours glorieuse (loin de là). Les personnages insignifiants sont souvent de sages et saintes personnes, des victimes innocentes qui préfigurent en filigrane le Christ à venir. L’ancien testament en parle si peu. Et Jean Marie-Beaude fait remarquer que le nouveau testament se rappelle de ces personnages. En ce moment, je lis sur le règne de David qui est loin d’être un saint. En particulier il a envoyé à la mort l’un de ses soldats Urie de Hittite pour lui prendre sa femme. Il se trouve que l’Évangile de Matthieu se souvient d’Urie et pas du nom de sa femme.

Le Christ est-il caché, en germe dans certains personnages insignifiants de l’ancien testament ?

Emylia