samedi 28 mars 2015

Calomnie

Je pensais que j’arriverais à y voir clair, entre d’une part les paroles de Jésus recueillies dans la source Q et d’autre part le récit des actes de la mission du Christ raconté par les Évangélistes. Entre les deux types d’écrits, il s’est écoulé plusieurs décennies. Les croyants de cette époque ont opéré un étrange retour sur le passé, qu’ils ont redécouvert d’une façon qu’ils n’avaient jamais perçue auparavant. Le passé, c’était non seulement le court parcours missionnaire de Jésus, mais aussi tous les écrits bibliques qui décrivaient la fondation d’Israël, la création de l’ancienne alliance et de la loi. Ils ont réussi à mettre du sens et un lien sur ce qui pouvait sembler chaotique et absurde. La foi était à l’œuvre, une foi nouvelle, complétée par un esprit saint vraiment actif. Mais jusqu’à quels points en avaient-ils conscience ? L’Église n’existaient pas mais ils étaient déjà l’Église primitive.
La façon dont la transformation décisive d’une poignée de croyants, s’est réalisée sur une période de temps de quelques décennies qui a vu s’éteindre la génération des témoins oculaires. Cette période demeure un mystère entouré d’un nuage d’inconnaissance impénétrable. Quand j’évoque une poignée de croyants je ne pense pas seulement qu’à quelques juifs mais aussi à quelques «gentils» païens de plus en plus nombreux à se convertir.
Le contexte de l’époque de Jésus était figé sur l’observance de la loi et le salut était repoussé à la très lointaine fin des temps, soit l’apocalypse, avec peut être au bout la dite résurrection, peut être (croyance des pharisiens). 
Jésus est né dans une modeste famille. D’après Joseph Moingt, il ne peut avoir eu accès à la connaissance de l’ensemble des écritures détenues dans le temple de Jérusalem. Il n’a pu en avoir qu’une connaissance partielle. Mais plutôt que de l’érudition religieuse, il a l’intuition, ou dirons nous, l’inspiration.
Jésus est prudent et jamais prétentieux. Il ne se déclare jamais fils de Dieu mais fils de l’Homme. Cette expression est plutôt rarement utilisée dans la bible et pas très limpide. Elle est dans le livre de Daniel. Autre expression énigmatique, le royaume de Dieu qui est proche. Les proches de Jésus ne voyaient pas trop bien de quoi il s’agissait.
Il a fallu la mystérieuse résurrection pour que la pensée des fidèles se mette en branle pour comprendre la signification de tous ces termes prononcés par Jésus.
Ce que Jésus savait parfaitement, c’était le sort réservé à tous les prophètes d’Israël. Il avait connu le martyre de St Jean Baptiste. Il ne se faisait pas trop d’illusion sur son propre destin. Mais il n’imaginait peut être pas que sa fin arriverait si vite par rapport à l’exercice de sa mission ! De son vivant, il a pu penser qu’il avait échoué.
Tous les juifs attendaient le Messie. Jésus ne s’est jamais présenté comme le Messie. Il a laissé les autres hommes le désigner comme tel. C’était avant tout une question de foi et non de fait ou d’imposture.

De quelle offense pouvait-on donc bien pouvoir l’accuser ? Quelle est la nature de la menace qu'il pouvait représenter (au moins symboliquement) pour les pouvoirs établis ?

Emylia

samedi 21 mars 2015

Plongée en profondeur spirituelle

C’est le soir. Je suis en train de travailler à mon ordinateur au lieu de pratiquer d’autres activités plus appropriées pour une heure aussi tardive. Je commence à me laisser distraire par les nouveaux courriers électroniques impromptus que je reçois en direct.
Je clique sur un lien d’un des courriers qui attire mon attention alors que d’habitude, je lis rarement ce genre de courrier.
Je ne connais pas les écrits de cette grande dame. Je n’ai pas encore eu l’occasion de m’intéresser à son parcours de foi jusqu’à présent.
Je commence à lire,… et je tombe en arrêt :

« Aujourd’hui dans beaucoup de vies urbaines, la prière n’est possible qu’en procédant à des forages où l’intensité supplée la durée. Ces plongées énergiques et obscures tendent vers Dieu par la profondeur. Elles sont des actes concentrés de foi, d’espérance et de charité. Leur persévérance est une ligne brisée, mais leurs sauts successifs en profondeur arrivent à l’heure que Dieu veut là où on puise Dieu… Il ne faut pourtant pas oublier que les forages ne s’improvisent pas… Il faut regarder d’avance les menus espaces disponibles. »

(Madeleine Delbrêl, La joie de croire p. 262)

« Savoir qu'une minute de vie chargée de foi, même dépouillée de toute action, de toute expression extérieure, possède un génie de valorisation, une puissance vitale que tous nos pauvres gestes humains ne pourraient remplacer. »

(Madeleine Delbrêl, Communautés selon l’Évangile, Seuil, p.28)

Je suis instantanément subjuguée. Comment un message aussi clair peut-il m’être adressé personnellement ? J’ai compris le signe. Je lâche mon clavier.
Je vais tenter une plongée spirituelle. Je tente de lire le livre de Joseph Moingt en cours de lecture. Mais la plongée spirituelle avec le livre de théologie ne se fait pas. Je tente un livre de Maurice Bellet. La plongée ne se produit toujours pas. Alors j’arrête tout et je ferme les yeux.
Je fore mon puits de foi au cœur des profondeurs de la terre, pour y puiser la source du ciel. J’ai besoin de trouver un livre de témoignage de foi de la puissance de Madeleine Delbrêl. Parce qu’en ce moment, j’ai plus besoin de prier que d’apprendre.

Emylia




17 manières de prier sans en avoir l’air
Maurice BELLET


Cahiers pour croire aujourd’hui.
Novembre 1993. n° 131.

                       Utiles à ceux que devoir prier désespère.


1-Marcher de long en large
dans une église romane, belle, assez grande
Saint Philibert de Tournus par exemple
ou dans une église gothique
Chartres, Reims, Bourges
ou baroque, comme la Wieskirche
et ne penser à rien
rien du tout
laisser le regard errer
laisser la pierre chanter
laisser le lieu dire
et s’en aller, au bout d’un temps,
sans aucune hâte.

2 - Lire un livre de forte pensée
avec un désir fort de la vérité
sans avidité de savoir
sans prétention à disputer
mais par goût, par amour de la vérité
Ouvrir la porte profonde
à toute pensée qui vient
et la laisser demeurer en paix
afin qu’elle vienne à porter son fruit.

3 - Ouvrir la sainte Écriture
ouvrir seulement le Livre
 et partir en songerie
imaginer son propre livre
se raconter des histoires
laisser remuer ses propres vieux mythes
de cruauté, de triomphe, de sensualité, de désespoir,
d’amour, de charité avec le parfait narcissisme de ces choses-là
et lire, dans le texte,
deux mots.

4 - Dire une demande du Notre Père
une seule,
une seule fois.

5 - Se désoler infiniment de ne pas prier
gémir intérieurement tout le jour d’être incapable
de la moindre invocation
la moindre lecture
pas même de l’évangile
d’être là froid, sec, absent
et heureux ailleurs
sans Dieu, sans Christ, sans tout ça
et en souffrir
et décider enfin de s’en remettre là-dessus à Dieu
et attendre, hors de toute pensée.

6 - Dormir
et le coeur veille.

7 - Comme un petit enfant, dire des choses à Dieu
prière, supplication, rage ou tendresse
regret ou jubilation
ça échappe
on ne s’en aperçoit même pas
sinon quelquefois après coup.
Celui qui parle ainsi en nous est l’enfant
toujours à l’aurore de la vie
naïf comme la volonté divine.

8 - Converser de choses et d’autres
et soudain
il se fait sans mon Dieu qu’on l’ait voulu
qu’on se met à parler de l’essentiel
la vie, la mort, l’avenir de l’humanité
l’amour, la vérité
Dieu peut-être, et peut-être pas,
la religion chrétienne, les grands chemins de l’homme
On en parle les uns aux autres, sans haine,
sans controverse, sans passion basse, mais parce que cela importe plus que tout le reste
et qu’on en parle si peu souvent
et dans la conversation celui qui en Jésus Christ
laisse passer quelque chose de l’Annonce
pas tant parce qu’il s’y croit obligé
que parce qu’il est comme ça, c’est en lui,
sa parole porte la Parole
et il arrive que quelqu’un écoute
et le fond du coeur est ouvert.

9 - Ouvrir la Sainte Écriture
et ça y est !
Ce n’est pas un livre, ce n’est pas le Livre,
c’est le lieu de la Parole qui s’entend par-delà les mots
rêve sans rêve en marge du texte en son milieu
résonance à travers toutes les épaisseurs de la vie
fontaine dont la source est invisible
pensées, images, paroles
mouvements sobres du coeur
la Lettre est nécessaire
l’esprit va
car le sens de l’Écriture, c’est la vie sauve.

10 - Désirer, désirer désespérément
désirer jusqu’à la douleur et la détresse
jusqu’au grand vide amer
désirer que ce soit autrement
désirer la fin des cruautés
des folies, de la bêtise, de l’abject,
désirer la gaieté, la lumière, la tendresse
avoir si faim, avoir si soif
du monde différent
et de soi-même différent.

11 - Écrire
par plaisir, par goût, pour voir
écrire pour écouter ce que le bruit ordinaire recouvre ou embrouille
y compris le bruit des mots
Laver les mots jusqu’à ce qu’ils soient
tout purs et ronds et lisses
ou bien aller par les chemins foisonnants
ou bien refaire, indéfiniment refaire
pour approcher un peu plus ce qui manque et insiste
écrire pour aller vers le point là-bas
qui communique avec l’au-dessus et l’en-deça de tout mot.

12 - Écouter la musique
La Messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach par exemple
spécialement Incarnatus, Crucifixus, Resurrexit
ou bien autre chose
pas nécessairement de la musique religieuse
mais écouter dans la profondeur
écouter le chant du nouvel Orphée présent
à toute musique humaine
incarnation, crucifixion, jubilation
Si l’on peut, chanter soi-même et jouer de l’instrument,
c’est encore mieux !

13 - Se tenir dans la paix
qui est l’harmonie des puissances
au-delà (certes) du tourbillon
au-delà de l’abstention sereine
au-delà de l’abandon volontaire des héros
dans l’harmonie des puissances
coïncidant avec la plus humble humilité
ceci, dans le médiocre des jours
sans hauteur, sans savoir et quelquefois sans grâce.

14 - Sortir de l’église
quitter la célébration
parce qu’on ne supporte plus
parce qu’on ne peut plus rester
à cause du trop d’intensité et de hauteur
de ce qui est censé se faire là
en contraste avec l’échec navrant de ce qui s’y passe en fait
quitter sans scandale, sans contestation, avec tristesse
et le désir endurant que se lève à nouveau
comment ? comment ?
la lumière du grand poème où s’inaugure toutes choses.

15 - Douter, intensément douter de Dieu
quoi, il y aurait un Dieu bon et tout puissant
avec toute cette cruauté dans la nature
avec l’infernale cruauté humaine
les enfants crevants de faim, les exploités,
les névrosés, les abrutis, les alcooliques, tous les déchets humains ?
Elle est belle, l’image de Dieu !
Et qu’est-ce que Dieu
sinon la pauvre petite idée élaborée
sur la planète où nous sommes
rien,  au sein de l’univers éclatant
vers des dimensions inimaginables
Objections, objections, agonie de Dieu
au coeur de l’homme de foi.
Il a répondu cent fois, mais il s’agit d’absence
Pauvre Dieu en agonie
comme son Verbe identique à Lui au jardin des oliviers
quand ses meilleurs amis dormaient...
Ce n’est donc pas si peu que de le veiller. En son agonie.

16 - Ni les images, ni le texte,
ni le lieu ni l’heure
ni la parole qui sourd du coeur
ni la répétition lasse et attentive
pas même le silence
mais simplement le réel
terriblement réel et plat, les choses, la surface
la conversation sans but
les tâches, les loisirs,
manger, rêver, dormir
et la souffrance intolérable, indicible
tellement souffrante qu’on n’en souffre pas
l’attente nue de ce qui doit venir au monde
pour qu’il en soit sur la terre comme au ciel.

17 - Travailler de ses mains
à des tâches ménagères, à la couture,
à son métier, à du bricolage
et faire taire la radio et tout le brouhaha intérieur
écouter ce qui parle sans mots
tandis que les mains s’occupent
et occupent la surface de l’âme.
Ou bien, conduire une automobile
très détendu, attentif, courtois
tandis que cette occupation laisse libre
une pensée sans pensée
qui mûrit d’ailleurs.