dimanche 22 février 2015

La source Q

Ce qui est en cause c’est l’être humain 
avec sa difficulté majeure de trouver son propre chemin.

Maurice Bellet
Théologie de Poche  (2014) 

   
J’ai le plus grand respect pour toutes le formes de fois sincères. J’admets parfaitement que chacun exprime sa foi d’une manière différente. Il n’est pas interdit de comprendre la nature de sa foi, ce qui la dynamise et la fait vivre. Je ne suis pas sure que chacun puisse connaître à fond tous ses ressorts. En effet qui pourrait prétendre de détenir toute la vérité ou du moins sa vérité intime.
La nature de ma foi est de me faire suivre en ce moment les chemins que Jésus-Christ a empruntés, de son vivant ainsi que le parcours de foi de ses contemporains, en marche vers la découverte de la foi chrétienne.
Dans les deux livres que je ne cesse de citer, j’ai étudié le contexte culturel des pensées et espérances du peuple hébraïque à l’époque où Jésus est né.
C’est une époque difficile où la foi se tarit, car une espérance de longue date n’en finit pas de ne pas se réaliser. Par certains égards cette époque peut ressembler à la notre, si épuisée par tous ses rêves laïques, et contrainte  s’arrêter brutalement en apparence devant un réalisme paralysant et liberticide.
Mais les apparences sont toujours trompeuses. Et un avenir semblant sans espérance peut être la source d’une vitalité cherchant à dépasser les blocages pour préparer un avenir nouveau.
C’est au cours des trois derniers siècles avant J.C que le judaïsme se transforme officieusement pour devenir une religion plus personnelle. La question du salut ne s’adresse plus au peuple dans sa totalité mais aux personnes, aux hébreux et aussi aux païens (ceux qui deviendront les gentils). Les écrits bibliques se démultiplient dans un contexte de culture religieuse très féconde et prolifique. Pratiquement aucun des ces nouveaux textes seront intégrés aux canons hébraïques et chrétiens. C’est pourquoi il est si difficile pour nous de connaître précisément le contexte religieux dans lequel Jésus est né et a grandi.
Sauf que les historiens, les exégètes et les théologiens qui font de la « recherche religieuse » font des progrès considérables de compréhension encore de nos jours. Ces explications ne peuvent pas se trouver dans la bible.
Pour continuer je vais m’appuyer sur la synthèse exhaustive de ces recherches que propose le théologien Joseph Moingt dans son livre « Croire au Dieu qui vient ».
Les paroles de Jésus Christ ont été rapportées relativement tardivement par les évangélistes officiels, c’est à dire plusieurs décennies après les faits (au moins de + 70 à +90 après J.C). Après tant d’années de décalage, il ne faut pas considérer les évangiles comme des témoignages de première main, de type journalistique. Avant d’être écrits, les textes ont été retravaillés de mémoire et à plusieurs mains au prisme de la foi grandissante des premiers chrétiens qui se sont transmis les souvenirs des témoins oculaires.
En christologie, les chercheurs sont parvenus à reconstituer une trace écrite la plus ancienne des paroles du Christ, commune aux évangiles de Mathieu et de Luc, appelée source Q. Ces écrits datent d’à peine 20 ou 30 ans après la mort du Christ. Je dois dire que la lecture des paroles originales du Christ dans la source Q, commentées par le théologien Joseph Moingt m’a profondément étonnée et intéressée.
J’y découvre un Jésus très humble délivrant des paroles d’une très grande sagesse et mesurées, sans une trop grande prétention messianique, ou de fils du Père trop encombrante. Même si on ne sait pas comment Jésus a pu acquérir ses connaissances religieuses approfondies en dehors des lieux consacrés aux études religieuses comme le temple de Jérusalem, on sait que Jésus avait parfaitement compris les attentes spirituelles de son époque, il avait perçu la transition à l’œuvre d’une religion collective de rites, vers une spiritualité plus intériorisée du salut présent et futur. S’il connaissait bien le sort réservé par les hommes aux prophètes comme Jean-Baptiste, il n’imaginait probablement pas que les pouvoirs religieux et politique de son époque se ligueraient aussi rapidement pour arrêter brutalement sa mission de deux ans auprès des hommes.
La source Q est un recueil de paroles avant les événements tragiques, mais ne fait aucunement référence à la mort du Christ et à sa résurrection. Ce qui veut dire que bon nombre de témoignages sur sa résurrection ont été rajoutés longtemps après l’écriture de la source Q. Joseph Moingt explique que la foi des premiers chrétiens a fait une relecture des sources originelles, renouvelée par le développement évolutif de la foi chrétienne qui s'autonomisait du judaïsme en se libérant de la peur. La source Q qui a conduit à la rédaction d’au moins deux évangiles a évolué comme les écrits bibliques avaient eux-mêmes évolué au cours des siècles précédents.
Joseph Moingt, n’est pas le seul théologien à faire cette hypothèse de l’évolution des témoignages. Cette hypothèse s’appuie sur les recherches de plusieurs chercheurs dont les travaux sont cités.
Il n’est pas étonnant que le livre de Joseph Moingt dérange l’église puisque d’une part il montre que certains textes importants ont été écartés du canon officiel et d’autre part les évangiles ont évolué à partir de textes antérieurs.  D’où la résistance de l’éditeur habituel DDB qui a trainé les pieds pendant deux ans avant que J.M ne confie son manuscrit à Gallimard.
Je ne garantis pas avoir fait une bonne synthèse du livre alors que je n’ai même pas encore dépassé la moitié. Je veux simplement témoigner que cette lecture est passionnante. La vérité est à ce prix. Je ne crains pas que cette vérité soit de nature à troubler la foi, mais plutôt invite à la retravailler comme une foi critique digne de ce nom. Je m’attends encore à d’autres révélations tout autant passionnantes puisées aux sources véritables de la religion chrétienne.

Emylia

dimanche 15 février 2015

Identité, liberté de pensée et d’expression, intolérances

Depuis le début de cette année, j’avance toujours lentement et progressivement dans la bible guidée indépendamment mais parallèlement par Pierre-Marie Beaude et Joseph Moingt. Eh puis cette semaine, j’ai écouté les quatre émissions sur le « traité théologico-politique » de Spinoza, l’un des premiers philosophes à avoir pensé la question de la tolérance religieuse et de la liberté de philosopher, au XVII siècle, peut être d’ailleurs après Socrate (selon Platon), Socrate ayant été victime dans sa chair de l’intolérance religieuse. Mes lectures et écoutes sont en résonnances mutuelles et en échos avec l’actualité dramatique récente la plus déplorable. Elles m’aident à comprendre ce qu’est l’intégrisme, le dévoiement des religions à des fins de pouvoir. Je m’interroge si la recherche aberrante d’une identité illusoire ne conduirait pas de prétextes fallacieux à des actes ignobles et indignes du véritable esprit religieux. N’y a t’il pas à la source de ce comportement identitaire, une peur inconsciente qui pourrait probablement être contrecarrée par une psychanalyse curatrice collective et individuelle.
Mais pour réfléchir, je ne vais pas commenter les événements récents. Comme souvent, pour comprendre, je préfère de me pencher sur notre passé, où se joignent notre histoire « historique » et notre spiritualité.
Cette histoire qui est celle du peuple hébreu est aussi un peu notre propre histoire. Elle commence au VI siècle av J.-C par ce peuple déporté en Babylonie loin de sa propre terre. Toute déportation constitue  une menace d’acculturation et d’amnésie. D’ailleurs le peuple hébreu en tant que tel n’existe déjà plus. Deux siècles auparavant, le peuple hébreu était divisé en un peuple d’Israël au nord (la Samarie) et le peuple de Juda au sud (région de Jérusalem). Au VIII siècle av. J.-C, l’Assyrie avait conquis la Samarie et le peuple d’Israël avait disparu.
Je fais donc commencer l’histoire au VI siècle av. J.-C, car les prêtres qui prennent conscience du danger de l’oubli de soi, décident devant l’urgence présente, de rédiger les mythes fondateurs qui se transmettent par traditions orales depuis des siècles : histoire mythiques d’Abraham, et surtout de Moise.
Ils initient ainsi l’écriture de l’ancien testament pour aider le peuple de retour d’exil à se créer une identité qui n’était pas forcément si claire avant la déportation. Cette identité est étonnamment peu glorieuse. Elle insiste sur la pusillanimité humaine, la faiblesse devant le péché. Paradoxalement, c’est le souvenir des erreurs du passé qui consolideront à jamais l’identité indissoluble du peuple juif. Car si la Bible depuis Moise fait référence à une période de liberté et d’indépendance du peuple hébreu (époque des Juges et des Rois, rarement en paix), le peuple ne sera plus jamais libre jusqu’à la création de l’état d’Israël en 1947. En effet, depuis la déportation à Babylone, il sera occupé successivement par les Perses, les Grecs puis les Romains avant la diaspora de plus de 2 millénaires.
Pour créer une identité collective de nature religieuse qui résiste aux invasions extérieures, il faut certes à la base des convictions spirituelles profondes. Mais ces convictions ne sont pas forcément partagées et comprises par une majorité. Elle ne génère pas forcément suffisamment de cohésion. Pour faire adhérer tout un peuple, il faut y rajouter de nombreux rites et maintes contraintes (des lois comme dans le Lévitique et les Nombres) qui organisent à n’en plus finir la vie des personnes.
Ces rites et lois voilent les raisons spirituelles originelles et laissent peu de liberté et responsabilité aux personnes. Ces habitudes peuvent conduire à un isolement égotique comme le rejet « intégriste » de ce qui est différent, c’est-à-dire le rejet sans discernement des étrangers, des autres cultures et autres religions.
Sauf que, on en a peu conscience, certains prophètes tardifs ont incité le peuple juif à s’ouvrir à d’autres peuples en reconnaissant l’existence d’hommes justes dans les autres nations. Des écrits tardifs appelés apocalyptiques non intégrés au canon des écritures chrétienne et juives témoignent d’une certaine ouverture préfigurant un mouvement universalisation du monothéisme dans les siècles qui précèdent la naissance du Christ. Pour aller vers l’universel, il ne faut pas s’arcbouter excessivement sur une identité auto-fabriquée. Autre point selon Joseph Moingt, la question du salut s’individualise. Si autrefois, l’ensemble du peuple devait payer pour le péché de quelques-uns, le rapport à Dieu se personnalise et chacun devient véritablement responsable de ses propres actes devant Dieu. Ainsi commence à émerger la possibilité d’un salut individuel, voire d’une résurrection.
Il y a donc un chainon manquant dans les écritures qui ne nous expliquent pas comment le Christianisme a pu émerger en Judée. Une partie du peuple juif était prête à l’ouverture vers les autres peuples, une simplification des rites et lois pour ne garder que l’essentiel de l’esprit spirituel basé sur l’amour du prochain. Il y a aussi une personnalisation de la vie religieuse qui permet d’adhérer librement et intellectuellement à une  profondeur spirituelle sans se perdre dans des dévotions mal comprises. Je ne sais pas ce que vous pensez, mais je trouve qu’il est essentiel de mieux comprendre cette période méconnue des trois siècles qui a précédé la venue de Jésus.
On comprend mieux ainsi comment a pu s’opérer la séparation entre le judaïsme et le christianisme au début de notre ère. Cela ne veut pas dire que nos amis juifs soient intégristes et que nos chrétiens soient tolérants. Il ne faut pas se faire d’illusion, la ligne de fracture entre la tolérance et l’intolérance passe à l’intérieur de chacune des religions.
Comme je disais précédemment, le philosophe Spinoza a profondément réfléchi à la résurgence de l’intolérance religieuse dans le pays le plus tolérant d’Europe au XVII siècle, la Hollande. Spinoza a été l’objet d’une exclusion virulente de la communauté juive en raison de préjugés de certains religieux l’accusant d’athéisme. Il est rarement possible de se défendre d’une accusation calomnieuse d’athéisme quand on ose penser librement. Pour s’expliquer, Spinoza a entrepris la rédaction de son « Traité théologico-politique ». Il s’appuie sur son interprétation des écritures. Il y analyse le fonctionnement de la première Théocratie monothéiste judaïque. La principale justification d’une Théocratie est l’égalité parfaite entre les hommes. Mais une telle organisation politique est instable dans la mesure où inévitablement un tyran s’arroge le titre d’intermédiaire divin pour imposer son propre pouvoir au peuple. Spinoza conclut que la moins mauvaise organisation politique est probablement la démocratie avec une séparation étanche entre le pouvoir politique et le pouvoir spirituel. En tout cas, quelque soit le système, il faut préserver la liberté de penser et d’expression dans l’intérêt de tous, y compris dans l’intérêt du souverain politique.

Emylia



Pour écouter le TTP de Spinoza, voici quelques liens.

lundi 9 février 2015

Histoire de désert

On ne peut pas tout avoir, le beurre, l’argent du beurre …
Et quand on a la chance de retrouver la liberté, que pourrait- t’on exiger encore de plus ? Être libre, c’est déjà beaucoup ! Il faut apprendre à renoncer à bien d’autres plaisirs !
Je ne sais pas si les hébreux de Moise ont bien réalisé les conséquences de leur libération du joug de l’esclavage en Égypte.
Ils reconnaissaient avoir vécu relativement correctement là-bas. Ils avaient un logement, de la nourriture. Ils ont tout quitté pour l’espérance de la terre promise. Ils ont vécu des moments extraordinaires, inoubliables, surnaturels. Puis ils ont piétiné quarante ans dans une région étroite du désert du Sinaï. Malgré la manne qui tombait du ciel de temps en temps, il ne semble pas que leur vie dans le désert ait été particulièrement confortable. Leur génération devait passer avant de pouvoir s’établir définitivement sur leur terre promise. Il paraît que leur génération était mauvaise et ne méritait pas d’atteindre le but. Même Moise n’avait point été autorisé à entrer en terre promise.
On peut penser que le nombre « quarante » est un nombre symbolique, que cette histoire est une allégorie. Peut être ! Mais qu’est ce que cela veut dire ?
Il n’est pas possible d’avoir trop de chance dans sa vie ? Qu’il faut prendre le temps de savourer sa propre chance. Qu’il faut savoir rendre grâce pour ce que l’on a obtenu ? Il faut bien une vie pour réaliser tous les dons reçus et cultiver l’espérance non pas pour soi, mais pour ses enfants et leurs successeurs. À l’époque de Moise, l’espérance du salut à titre individuel n’existe pas encore. Après la vie, il y a le séjour infini dans le Shéol pour tous. Le seul espoir, est que le peuple puisse survivre collectivement aux épreuves qui l’attendent.
Il y a peut être un autre don qui n’a pas été perçu à sa juste valeur sur le moment. Ce don est celui de la parole de Dieu donnée, inscrite pour l’éternité dans les écritures. Les tables de la loi inaugurent une ère des textes sacrés, de la spiritualité de la parole écrite. Il n’est guère étonnant qu’il faille bien plus d’une génération pour mesurer  l’importance de la parole écrite, la faire murir dans les esprits, qu’elle prenne toute sa place dans une vie spirituelle au regard des rites et cultes par ailleurs déjà bien établis.

Le désert est non seulement un lieu de privation mais aussi un lieu sacré propice à la prière qui favorise la relation de l’homme au divin. Jésus Christ éprouvait souvent le besoin de se retirer dans le désert. Après lui, les Pères du Christianisme se retiraient aussi dans le désert (III – IV siècles après J.C) pour faire grandir leur foi. Que nous reste t-‘il aujourd’hui du désert sacré ? Il nous reste les églises et les monastères, de préférence quand ils sont déserts, ou dans des lieux peu fréquentés.

Emylia